Auteur Maximiliano Duran

Leçon 16 : Suffixes et inter fixes quechua

Les suffixes

Les affixes sont des mots auxiliaires ou complémentaires, constitués d’une ou plusieurs lettres et qui servent à transformer le mot de base auquel ils sont attachés. On peut les ajouter au début (préfixe), au milieu (inter fixe) ou à la fin (suffixe) du mot modifié. En  Quechua existent seulement les inter fixes et les  suffixes.

Il est important de connaître par cœur un certain nombre de ces suffixes et leur signification pour avoir une bonne maîtrise de la langue des Incas. Comme nous avons pu le constater, il existe un grand nombre de suffixes en Quechua. Il est vrai que c’est une langue agglutinante, mais certains spécialistes exagèrent l’importance de ces suffixes  en voulant présenter toute phrase Quechua comme étant une agglutination de suffixes.

Néanmoins, le bon maniement de ces particules permet une construction des phrases plus érudite, élégante et, éventuellement plus littéraire et poétique. Prenons quelques exemples pour montrer l’utilisation de ces suffixes Pour exprimer une même idée nous allons présenter deux constructions différentes : D'abord utiliser une manière ordinaire ou simple et pour ce faire nous emploierons peu de suffixes ou des suffixes ordinaires : "ñaja llojsimurja sumaj killa": «tout à l’heure il est sorti une belle lune»;

et puis une manière plus élégante, néanmoins moins simple : " ñajaja llojsillarjamusja sumaj killam".

La signification est la même, mais dans la deuxième forme la tournure rend la phrase très poétique.

"allinyaruchkanñam punchauja" et "allin­yachkan punchau" veulent dire la même chose : "le jour devient meilleur", mais on remarque la complexité de la première expression face à la simplicité de la deuxième. La première est très élégante.

On sait qu’on obtient les meilleurs fruits avec plus d’efforts, de même, un Quechua mieux parlé sera la moisson de plus d'efforts investis pour la connaissance et la maîtrise des suffixes

Certain suffixes ou inter fixes unis aux verbes, sujets ou adjectifs, vont  transformer leur signification. D’autres vont leur donner plus de précision, plus d’expression voire même leur donner une tournure poétiques.

AFFIXES VERBAUX

Voici quelques inter fixes, qui sont posés entre la racine du verbe et la particule complémentaire  de l’expression :

CHAIKU : Donne un  caractère de douceur et de gentillesse dans le rapport avec une personne.

verbe : tiyay
tiyai : assieds-toi
tiyaCHAIKUy : ait l’amabilité de t’asseoir

CHKA : On l’a déjà rencontré lors de la construction du présent progressif. Il indique que l'action est en train de se produire maintenant.

verbe : manger
mikuni : je mange
mikuCHKAni : je suis en train de manger
takikuni : je chante
takikuCHKAni : je suis en train de chanter

CHIY : transforme le verbe en impératif, demande de permission ou conseil.

mikuy : manger
mikuCHIY : fais-le manger !

takiy : chanter
takiCHIY  : fais-le chanter !

KU : transforme tout verbe en réflexif.

takiy : chanter
takini : je chante
takiKUni : je me chante

tusuy : danser
tusun : elle danse
tusuKUn : elle danse avec elle-même

jawani : je regarde
JawaKUni : je me regarde, (réflexif)

CHIKU : Ajoute le sens de l’action subi ou reçu par le sujet.

Jawani : je vois
JawaCHIKUni : je me fais voir
JawaCHIKUni paywan : je me fais voir par lui

CHOJAYA : Donne au verbe un sens négatif, un peu dubitatif ou de gêne dans la réponse.

  • pukllaymanchu rirjanki ? :  es-tu allé jouer ?
  • rirjaniCHOJAYA ? : bah ! tu crois que j'y suis allé?

CHU : On a déjà vu qu’il accompagne les verbes et sujets pour faire l’interrogation

  • takirjankiCHU manaCHU ? : as-tu chanté ou non ?
  • kaija alljonninchikCHU ? :  est-il à-nous ce chien ?

On l’utilise aussi pour les réponses négatives, dans ce cas, on met CHU après le verbe ou après les particules de conjugaison qui suivent le verbe.

  • ama mikuiCHU : ne mange pas
  • Ma­nam mikunkiCHU : tu ne mangeras pas

CHUCH : A la forme interrogative que génère CHU, le suffixe lui rajoute la possibilité de doute, équivalente à l'expression: "serait-il  possible  ?

  • Juan wasinpiCHUCH ? : Juan serait-il à la maison ?
  • wañunñaCHUCH ? : Serait-il  possi­ble qu'il soit mort ?

IKACHA : Sert à exprimer des actes répétitifs ou habituels.

  • upiani : je bois
  • upiaIKACHAni : je bois fréquemment
  • tusuni : je daupiani : je bois upiaIKACHAni : je bois fréquemment tusuni : je dansense
  • tusuIKACHAni : je danse fréquemment

J. Transforme le verbe en substantif, en celui qui fait l'action :

  • jaway : voir, observer :
  • jawaJ : celui qui observe, qui regarde, témoin  oculaire
  • chutay : tirer
  • chutaJ : celui qui tire (locomotif)

KAMU : Interfixe qui exprime l'idée, que l'action du verbe est exécutée de façon peu sérieuse ou provisoire.

  • jelljani yachaiwasipi : j'écris à l'école.
  • jelljaiKAMUni yachaiwasipi : (en attendant) j'ai écrit à l'école.
  • perjayKAMUni wasinpi : (provisoirement) j’ai construit un mur à sa maison

LLA : Suffixe ou interfixe qui donne au  verbe et au sujet un caractère restrictif équivalent aux expressions: "seulement si, uniquement si, à condition que".

  • takiyLLAtam munan :  Il veut chanter uniquement (pas autre chose)

Si après LLA on rajoute les suffixes possessifs alors il donne à l’expression un sens d’amabilité.

  • Onjoj masiLLaimi : c' est un petit malade comme moi.

En outre, si  LLA est accompagné du suffixe PAS, alors on exprime un certain restriction

  • payLLApas, mana imatapas yachaspa, barayojña : même lui, alors qu'il ne sait rien, est une autorité.

MU : A la propre signification du verbe il rajoute le sens du mouvement

  • rimay : parler
  • rimaMUi : va chanter

NAKU : Interfixe qui sert à former les verbes réciproques.

  • kuyay : aimer
  • kuyaNAKUy : s’aimer mutuellement

NAYA : Interfixe pour exprimer les souhaits.

  • upiani : je bois
  • upiaNAYAchkani : j’ai envie de boire

PAYA : Inter fixe pour exprimer la fréquence dans la réalisation d’une action.

  • pachakuy : s’habiller
  • pachaPAYAkuy : s’habiller une première et une deuxième fois

PU : Inter fixe  qui transfère l’action  du verbe à un autre sujet.

  • mañay : demander
  • mañaPUy : demander à la place d' un autre ou d´autrui
  • takini : je chante
  • takiPUni : je chante à la place d'autrui ou d´un autre

RAYA : Interfixe  qui indique qu´on s´attarde sur l’action indiquée par le verbe.

  • rimay : parler
  • rimaRAYAy : parler  sans s’arrêter

RI : Interfixe  qui indique le commencement d’une action.

  • jelljani : j'écris
  • jelljaRIni : je commence à écrire

TUKUI : (Le verbe tukuy = terminer, conclure se prononce pareil) : il joue un rôle de suffixe avec les participes, substantifs et adjectifs,. Il donne à leur signification une tornure de faux, de simulacre, de farce,  d´hypocresie, de faire semblant de ce qu’est dit par le verbe.

  • puñuj : celui qui dort.
  • puñujTUKUI : faire semblant de dormir.
  • mikujTUKUNki : tu fais semblant de, tu simules manger
  • penjakujTUKUNchik : nous faisons semblant d'avoir honte
  • opaTUKUN : il fait le sourd, il fait semblant d'être idiot
  • mikujTUKUNki : tu fait semblant  de manger
  • penjakujTUKUNchik : nous faisons semblant d'avoir honte

Ces exemples, nous permettent déduire que, tous les vocables composé avec TUKUY (cette fois-ci écrit avec «»), deviennent des verbes, donc conjugables, le vocable de base reste invariable et on conjugue, le TUKUY seulement.

UTILISATION DES SUFFIXES POUR CONSTRUIRE VOCABLES

Nous présentons ci-après  une table pratique contenant quelques exemples de NOUVEAUX VOCABLES induites par la modification ou déclinaison de verbes utilisant quelques suffixes. Nous prenons comme exemple le verbe aimer KUYAY: (tableau pris du livre de German Pino (4))

AFFIXES NOMINAUX

Les affixes les plus usuels, utilisés pour transformer le substantif ou l’adjectif, sont:

KAY : (le même que le verbe être)

Son utilisation en tant que suffixe est très importante. Il transforme les substantifs et adjectifs en termes qui expriment l’essence même du substantif. Il transforme aussi l’adjectif en substantif :

  • runa : homme
  • RunaKAY : l'être homme, l'homme, la masculinité, la virilité
  • warmi : femme
  • WarmiKAY : l'être femme, la féminité

CHAY : Suffixe qui transforme le substantif en verbe signifiant qu’on exécute une action concernant le même substantif.

  • wasi : maison
  • wasiCHAY : faire une maison
  • sumaj : jolie
  • sumajCHAY : enjoliver

CHAKUY : composé par CHA et le réflexif  KUY, produisant ainsi la forme réflexive  du verbe engendré.

  • wasiCHAKUY : construire soi même sa maison.
  • sumajCHAKUY : s’enjoliver ou se maquiller.

N : Suffixe pour exprimer le possessif à la troisième personne.

  • wasi wasiN : sa maison

Utilisé dans un substantif dupliqué on obtient: de, à, en, chaque

  • wataN, wataN : chaque année, d’année en année.
  • punkuN punkuN : de porte à porte .

PUNIM :  il indique qu’il s’agit de la même action et non d’une autre; ou du même sujet et non d’un autre.

  • Pawan : saute
  • pawanPUNIM : précisément il saute
  • Wasin : sa maison
  • wasinPUNIM : est précisément sa maison, sa propre maison :
  • Yuraj : blanc
  • yurajPUNIM : est blanc précisément

TAJ : Il donne une force majeure à l’expression.

  • maita rinki ? : où vas-tu ? 
  • maitataj rinki ? : où vas-tu au juste ?

TUKUJ : Faire semblant, simuler, mimer le sujet qui l’accompagne

  • wawa : bébé
  • wawaTUKUJ : faire semblant d’être bébé
  • machu : vieux
  • machuTUKUJ : faire semblant d’être vieux

YA : Indique la mutation ou transformation d’une personne ou chose.

  • paya : vieille
  • payaYAy : devenir vieille, vieillir.
  • tanta rumiYAchkan : le  pain devient comme une pierre.
  • asnuYArun josayki : ton mari est devenu un âne.

Dans la table suivante nous présentons les modifications subies par les substantifs par l’adjonction des suffixes nominaux. Nous utilisons le sujet WASI (maison): (exemple pris du livre de Germán Pino (4))

Il existe beaucoup plus d’affixes dont la description et l’utilisation sont expliquées par quelques auteurs comme C. Mayorga (2)


Exercice 1 : construction de phrases utilisant des affixes : Traduire les expressions suivantes.

Au mot de base WAYTA (fleur) nous avons ajouté divers suffixes :

  • waita : ...
  • waitacha : ...
  • waitachalla : ...
  • waitachallai : ...
  • waitachallaimi : ...
  • waitachallaimicha : ...
  • waitachallaimipunim : ...
  • Waitachallaimipunis : ...

Réponses :

  • waita : fleur.
  • waitacha : petite fleur
  • waitachay : ma petite fleur.
  • waitachallai : uniquement ma petite fleur.
  • waitachallaimi : elle est  uniquement ma petite fleur
  • waitachallaimicha : vraiment elle est uniquement ma petite fleur waitachallaimipunim: uniquement ma petite fleur même..
  • waitachallaimipunis : on dit que c’est uniquement ma petite fleur.


Exercice 2 : Traduire la strophe suivante, correspondant à un wayno traditionnel d’Ayacucho, dans lequelle on trouve plusieurs affixes :

  • manaña taitai kaptinpas : ...
  • manaña mamai kaptinpas :  ...
  • jamwan kausayta munayman : ...
  • sumaj mayupi patachampi : ...

Réponses :

  • même quand mon père n’existerait plus
  • même quand ma mère n’existerait plus
  • j’aimerais vivre avec toi
  • Aux petits abords d’une jolie rivière

Poésie

IDYLLE MORTE
De César VALLEJO
WAÑUSJA WAYLLAI
(Original en espagnol. Traduction : Maximiliano Durán)
Imataraj rurachkan kunanpuni orjo masiy llampu Ritay totoramantawan Kapulimanta rurasja; qu’est-tu en train de faire à cette heure, mon andine et douce
kunan Bizancio jejepachiwaptin, yawar puñunayachkaptin Rita de jonc et de capulí (cerise des Andes)
ukuyniypi sapsa koñakjina. Maintenant que m’asphyxie Byzance,
Maypiraj makinkuna pitukuykusparaj, et que somnole en moi le sang comme un faible cognac,
punchautukujta planchaj jamujyurajkunata Où sont-elles ses mains qui dans une attitude contrite repassaient la blancheur à venir?
kunan, kay kausaytapas millachikuwaj parapi. Maintenant en cette pluie qui m’ôte l’envie de vivre
imaynaraj kachkan franela walin; Qu’en est-il de sa jupe de flanelle,
rurayninkuna; puriynin; de ses ardeurs, de sa marche;
mayokilla chaymanta weropa miskijnin. De son saveur de canne locale du mois de mai
punkunpipascha llajikunata jawapayachkan Elle doit se tenir à la porte, regardant quelque nuages colorées
jinaspañataj katkatataspa ninja «… Jesus!» Et finalement dira en tremblant: “Quel froid il fait…Jésus!”
wasijatakunapiñataj purun urpi wajanja Et pleurera sur les tuiles un oiseau sauvage.

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